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Annick Roulet, la dame aux chapeaux

Annick Roulet est intarissable sur l'histoire des moules, dont certains sont centenaires, qu'elle utilise pour former ses chapeaux. PHOTOS VJ

REPORTAGE ÉCOTEAUX
Dans l’atelier-boutique d’Annick Roulet, à Ecoteaux, le couvrechef trouve un écrin digne de son rang. Passé le seuil de la porte, un monde qui semble surgi d’un autre temps émerge. Dépositaire d’un savoir-faire de plus en plus rare, la chapelière a partagé sa passion, au début du mois, lors de ses premières Journées européennes des métiers d’art. Portrait.

«Le chapeau est un accessoire qui nous révèle et qui nous dissimule tout à la fois. C’est oser sa féminité, oser l’élégance.» Annick Roulet n’est pas avare de paroles lorsqu’il s’agit d’évoquer les couvre-chefs et sa profession de chapelière en faisant visiter son atelier à Ecoteaux. Au début du mois, c’est soixante curieux qui ont eu la chance d’entrer dans l’univers de cette modiste passionnée et passionnante, lors des Journées européennes des métiers d’art, une première pour Annick Roulet.

Celle-ci participera à UNIcréa, le Salon des arts créatifs, dès jeudi et jusqu’à dimanche prochain, au château de Morges. En attendant, Annick Roulet ne chôme pas pour préparer un rendez-vous qui est incontournable pour elle. Dans son atelier, on trouve une rangée de quatre machines à coudre, divers patrons aux noms poétiques, des outils. Et, bien sûr, des tissus. Pour ses créations, il s’agit de les façonner sur des formes en bois. Le menuisier Vincent Margot, à Oron-le-Châtel, lui fabrique de temps en temps des modèles. Annick Roulet ne se lasse pas de toucher la matière et de sentir le bois.

Plus de 1600 couvre-chefs

Depuis 2008, plus de 1600 pièces, toutes uniques, sont sorties de son atelier LEobjet, installé depuis près de trois ans au rez-de-chaussée de la maison familiale. En mars 2011, Le Messager l’avait déjà rencontrée. Victorien Kissling écrivait alors ceci: «Annick Roulet se laisse porter par ses envies, sautant sur les occasions d’élargir sa créativité lorsqu’elles se présentent (…).»

A l’aide d’une machine à vapeur – installée dans la baignoire de la salle de bain de l’atelier – d’un fer à repasser et d’une patte mouillée, la modiste étire et resserre le feutre pour qu’il épouse parfaitement le moule en bois ou en fonte. L’opération est complexe, physique et peut prendre plusieurs heures. «Il faut épouser la matière», notet-elle. Au chapeau en feutre, la modiste préfère cependant le coupé-cousu. C’est d’ailleurs, avec ce procédé qu’elle a débuté. Rive gauche, un petit chapeau coupé-cousu réversible, est son best-seller.

Cinq ans après avoir imaginé son «grand frère» Déjeu- ner sur l’herbe, elle continue de le vendre. Le moment où la cliente se retrouve face au miroir est l’instant préféré de la modiste, au vu de la façon dont elle en parle. «La personne se révèle à elle-même. Je retrouve dans son regard la même émotion que celle de la petite fille qui essaye les vêtements de sa maman en se disant: “Un jour, j’oserai être cette femme-là”.» Le chapeau a pourtant failli disparaître des tenues. Dans les années 1960, émancipation de la femme oblige, il est réduit au placard. «Porter un chapeau était avant cette époque un devoir, aujourd’hui, c’est devenu une liberté.» La modiste ne dénigre pas, au contraire, les enseignes de prêt-à-porter qui proposent des chapeaux en feutre à moins de cinquante francs. Elles permettent, selon elle, de démocratiser le port du chapeau auprès des jeunes générations.

Savoir-faire du XXIe siècle

Annick Roulet perpétue une tradition ancestrale tout en l’adaptant au monde moderne. La preuve par l’exemple: d’un ancien moule en fonte de chapeau borsalino, elle a fait faire une copie en plastique grâce à une imprimante 3D. «Le moule correspondait à un tour de tête de 55 centimètres, actuellement, pour un homme, on est plus proche de 59. J’ai agrandi la taille et la largeur des bords, car on préfère aujourd’hui qu’ils soient plus grands.» La relation entre Annick Roulet et le chapeau débute par une simple histoire de machine à coudre qui enclenchera un processus bien des années plus tard. A ses 8 ans, sa maman se remarie. «La maman de son futur mari était couturière. Elle voulait qu’elle ait une machine à coudre. Ils sont allés acheter une Bernina d’occasion, raconte-t-elle avec enthousiasme. Au moment de passer à la caisse, ce sont eux qui ont dû la payer. Elle était un peu en colère. Elle n’aimait déjà pas la couture, et après ça, c’était encore pire.»

La jeune Annick était, quant à elle, excitée. Sa maman lui a dit qu’elle pouvait s’en servir. Elle ne s’en est pas fait prier. Elle a appris petit à petit à l’apprivoiser, a «démythifié» l’engin et a commencé à coudre tout ce qu’elle a sous la main: des torchons, du papier. Elle confectionnait des habits pour ses nounours. «Je finissais toujours avec du scotch, car je ne savais pas comment faire autrement.» La naissance de sa fille, en 2005, constitue le déclic. Elle quitte le monde médical, où elle exerçait depuis quinze ans comme infirmière. Annick Roulet relève que le champ lexical est le même: «Apporter du soin, de l’attention» au chapeau ou à la personne. La chapelière a commencé, un été, par créer une capeline. Ce chapeau «zéro», soigneusement conservé dans un coin de son atelier, lui a donné du fil à retordre: il lui a fallu une semaine pour arriver à ses fins. Consciente qu’il n’était pas parfait, elle a ressorti ses formules géométriques pour l’améliorer. La modiste consacre désormais «150% de mon temps», déclare-t-elle, à imaginer et à créer des couvre-chefs.

Trouver le bon chapeau

Du plus classique au plus extravagant, la palette est large. «Il y a toujours quelqu’un qui me dit: “C’est pour la reine d’Angleterre ici”, raconte-t-elle en rigolant. Beaucoup disent qu’ils n’ont pas une tête à chapeau. Souvent, c’est juste qu’ils n’ont pas envie d’en porter. Tout est dans l’attitude. Quelle que soit sa morphologie, il faut porter le chapeau avec fierté.» Sur l’un des murs de l’atelier est inscrit «esprit libre», sa devise. En effet, Annick Roulet n’aime pas travailler sous contraintes. Autodidacte, formée sur le tard, elle tient à sa liberté créatrice.

Valentin Jordil

UNIcréa, le Salon des arts créatifs, dès jeudi et jusqu’à dimanche prochain, au château de Morges. Plus d’infos sur www.le-objet.ch


Carte d’identité 1971, le 22 juin naît à Neuchâtel. Elle déménage ensuite au Tessin, en Valais et finalement dans le canton de Vaud.

En 1987, rencontre son futur mari Christophe– «mon complice», dit-elle – sur les bancs du Gymnase de Burier, à La Tour-de-Peilz. Ils n’ont alors que seize ans. Lui se dirigera vers les Beaux-Arts, elle vers le monde médical.

1994, obtient son diplôme d’infirmière à la clinique Bois-Cerf à Lausanne. Elle travaille pendant quinze ans dans le domaine.

2005, naissance de sa fille Violette.

En 2008, commence à opérer sa reconversion. «Dans mon temps de travail, mon hobby est devenu ma profession et mon métier, mon hobby», estime-t-elle. La famille habite alors à Palézieux-Village.

2013, s’installe à Ecoteaux.

2016, investit le rez-de-chaussée de la maison familiale avec son atelier.

2017, le 9 septembre la romancièremAmélie Nothomb, auteure de best-sellers, porte l’une de ses créations au Livre sur la place, à Nancy.

2019, les 5, 6 et 7 avril participe à ses premières Journées européennes des métiers d’art. Elle ouvre son atelier à soixante curieux.

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