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Châtel-St-Denis

«Au début, je ne pouvais plus que dire “vouais”»

Philippe Genoud, aphasique depuis bientôt trois ans, n’a rien perdu de son enthousiasme. Il soigne progressivement son trouble du langage auprès de la logopédiste Martine Quintin Lalanne. CM

LOGOPÉDIE CHÂTEL-ST-DENIS

Hier soir a eu lieu une cinérencontre, au cinéma Rex de Fribourg, autour du film Un homme pressé, d’Hervé Mimran avec Fabrice Luchini. Cette réalisation, abordant le thème de l’aphasie, donnait l’occasion aux associations de logopédistes d’organiser un événement. Le Messager a voulu en savoir plus sur cette pathologie méconnue et le quotidien des gens qui en souffrent.

L’aphasie, trouble méconnu du grand public, n’est autre que le sujet principal du film Un homme pressé d’Hervé Mimran. Le personnage central, joué par Fabrice Luchini, est un homme d’affaires qui, à la suite d’un arrêt cérébral, perd subitement sa capacité à s’exprimer. Que le monde du cinéma traite du sujet constituait une opportunité pour l’Association romande des logopédistes diplômés et Aphasie Suisse d’organiser une ciné-rencontre, hier, au cinéma Rex de Fribourg.

Une soirée à laquelle a participé Martine Quintin Lalanne, logopédiste indépendante travaillant à Châtel-St-Denis depuis deux ans et demi. Spécialisée dans le domaine, elle ne s’occupe désormais plus que d’aphasiques adultes. Parmi ses patients provenant de la Veveyse et de la Gruyère, actuellement au nombre de six, figure Philippe Genoud, Châtelois de 54 ans. Celui-ci est aphasique depuis janvier 2016, lorsqu’une nuit, il a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC).

Changement radical

«Je me suis réveillé entièrement paralysé du côté droit et ne parlais plus du tout, retrace-t-il. Ma femme a appelé l’ambulance et j’ai été emmené à l’hôpital de Berne.» L’aphasie, issue d’une lésion au cerveau, est principalement causée par des attaques cérébrales, mais peut également faire suite à des tumeurs cérébrales et à des inflammations du cerveau. Elle se caractérise par la perte partielle ou totale des capacités de communication. «Au début, je ne pouvais plus que dire “vouais”, poursuit Philippe Genoud. On m’a donné un tableau pour écrire ou dessiner, seul moyen de me faire comprendre.» Après une semaine, il est transféré à l’Hôpital cantonal de Fribourg, où il entame sa rééducation, comportant de la physiothérapie et de l’ergothérapie. Trois jours plus tard, il marchait à nouveau, mais son bras droit a perdu sa mobilité et sa main droite reste partiellement fermée, encore aujourd’hui. Il commence ensuite la logopédie. «Les deux premières semaines après l’AVC sont déterminantes pour l’évolution du patient, explique Martine Quintin Lalanne. Selon la gravité de la lésion, au cas par cas, on sait si la personne va pouvoir récupérer une partie de ses facultés ou non.»

Elle explique que les symptômes peuvent être très variés. Cela peut aller d’un mutisme total à de simples difficultés d’articulation, en passant par des répétitions de syllabes «papapa» ou «tatata ». Certains patients n’ont en outre pas seulement des difficultés à s’exprimer, mais également à comprendre, à lire ou encore à écrire.

Epuisement rapide

C’est le cas de Philippe Genoud, qui ne peut pas lire des textes compliqués pendant plus de vingt minutes. «Je ne comprends que si je lis à haute voix, mais cela me demande un effort incroyable.» En effet, tous les automatismes inconscients que l’on tient pour acquis s’évanouissent lors de l’aphasie. Chaque son, chaque geste de la langue et de la mâchoire doit être pensé pour produire l’effet désiré. D’où la tendance des aphasiques à se fatiguer bien plus rapidement qu’une personne normale. «Je peux à nouveau conduire, mais trente minutes maximales, explique Philippe Genoud. Je suis tout le temps fatigué parce que je dois constamment me concentrer.»

«Il arrive aussi que les patients transforment des sons, parfois juste une syllabe, poursuit Martine Quintin Lalanne. Ou qu’ils remplacent des mots par d’autres.» Dans le film, le personnage joué par Fabrice Luchini a tendance à parler en verlan (à l’envers), procédé comique pour le 7e art que la logopédiste n’a pas observé dans son travail. «Mais il reste assez réaliste, estime-t-elle. Le changement total de rythme de vie que connaît le personnage est une chose que beaucoup de patients décrivent.»

Faire le deuil de sa vie d’avant

En effet, en raison de troubles du langage, un certain retrait social apparaît fréquemment chez les aphasiques. Même si dans certains cas, c’est le contraire, la personne devient plus avenante et plus active, la grande majorité du temps, une sorte d’isolement survient. Philippe Genoud, lui, a la chance de pouvoir compter sur sa famille. Toutefois, sa situation professionnelle a largement pâti de son accident.

Autrefois chef du service technique communal de Châtel-St-Denis, il y travaille désormais comme employé, à 30%. Un pourcentage qu’il a récemment augmenté, mais au-delà duquel il ne peut plus aller, en raison de la fatigue. Le Châtelois n’a néanmoins rien perdu de sa bonne humeur, étant très enthousiaste et riant de bon cœur durant tout l’entretien.

Pour améliorer les capacités des personnes aphasiques, Martine Quintin Lalanne propose toutes sortes d’activités ludiques ou sérieuses. Les premiers pas consistent à se faire comprendre par tous les moyens, sans tenir compte des défauts de prononciation. Ensuite, le patient doit chercher le mot juste selon une situation, ce qui stimule le cerveau et fait fonctionner d’autres zones que celle lésée. Décrire une image avec ses propres termes fait également partie des procédés qu’elle emploie. «Nous sommes avant tout des guides pour les patients, déclare la logopédiste domiciliée à Jongny. C’est eux qui font tout le travail.»

Elle indique que, selon les associations, il existe environ 30000 personnes aphasiques en Suisse. Or, comment expliquer que cette pathologie ne soit pas mieux connue de la population? «On en parle peu. Il y a une certaine retenue envers ce sujet sensible. En plus, les personnes qui en souffrent, qui ont justement de la difficulté à s’exprimer, ont de la peine à en parler et à en faire parler autour d’eux. Certains écrivent des livres, mais c’est rare.»

Créer des liens

Selon elle, c’est une bonne chose que des films soient réalisés sur le sujet, et les ciné-rencontres organisées permettent de mieux sensibiliser le public aux troubles du langage. «Il y a un mois, lors de celle de Vevey, trois personnes aphasiques ont témoigné. Cela a donné lieu à plein de questions des spectateurs et a permis de créer un lien.»

Philippe Genoud, lui, indique avoir apprécié le film, auquel il a pu s’identifier: «Je l’ai trouvé très drôle, il m’a fait penser à ma propre situation. Nous avons beaucoup rigolé avec ma femme et mon fils de 14 ans. La seule chose qui m’a gêné est l’absence de fatigue du personnage. Elle est un peu représentée au début, mais plus trop ensuite.»

Christian Marmy

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