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Châtel-St-Denis

Bientôt trop de logements sur le marché?

Infographie: Le Messager Source: service technique de Châtel-St-Denis Calcul: 2,5 habitants/logement (liste non-exhaustive, chiffres indicatifs)

De nombreux logements vont être mis sur le marché à Châtel-St-Denis. Certains prochainement, d’autres d’ici une dizaine d’années. Ces nouveaux immeubles seront-ils capables d’absorber la croissance démographique prévue, ou, au contraire, vont-ils largement la dépasser? Comment les promoteurs, les acteurs du monde immobilier et les observateurs jugent-ils cette situation? Enquête*.

IMMOBILIER CHÂTEL-ST-DENIS

«Quand j’ai trouvé aussi facilement mon appartement à Châtel-St-Denis, j’étais extrêmement étonnée. Je ne pensais pas que ce serait si simple.» Aurélie Biolley, 31 ans, s’est installée en Veveyse en décembre dernier. Pour cette assistante socio-éducative, faire son nid dans le chef-lieu veveysan représentait un véritable rêve: «J’adore cette ville et son ambiance. Elle est bien située, dans un cadre magnifique entre lac et montagnes, et je peux tout y faire à pied.»

Pour trouver son bonheur, Aurélie Biolley a consulté différents sites, ainsi que les annonces publiées dans la presse. «A ma grande surprise, il y avait pas mal d’offres intéressantes. Plein, en fait. Et mieux: il y en avait beaucoup dans mon budget, qui satisfaisaient mes attentes. J’ai finalement postulé pour trois appartements. Ensuite, ça a été extrêmement vite. Une semaine après, mon dossier avait été accepté, pour les trois. J’avais alors l’embarras du choix.»

Depuis, elle est aux anges: «Je suis trop contente! Je peux rentrer à pied après le carnaval (sourire).» Son appartement se trouve dans un immeuble qui en compte trente-trois. Un bâtiment construit en 2018. «Mon nouveau “cocon” est très cosy. Il est super.» Une nouvelle locataire qui n’a donc eu aucun mal à trouver un logement lui convenant à Châtel-St-Denis.

Prudence de mise

Aurélie Biolley représente-t-elle l’exception ou la norme? Son aisance à dénicher un pied-à-terre dans le chef-lieu serait-elle révélatrice d’un marché immobilier qui compte trop d’appartements vacants? Marc Waechter, directeur de Wamaco SA, l’un des promoteurs immobiliers les plus importants sur Châtel-St-Denis, estime que l’année dernière était «bonne» en termes d’affaires. Mais il déclare également que, depuis fin 2018, les acteurs du monde immobilier se montrent «un peu plus prudents».

Une chose est sûre, le bâtiment où Aurélie Biolley réside n’est pas le plus récent du chef-lieu. Depuis, bien d’autres ont été construits. Et cette tendance n’est pas près de s’arrêter. Actuellement, ce n’est pas moins de quarante projets résidentiels qui sont en cours d’élaboration. Une vingtaine de constructions sortent d’ores et déjà de terre, tandis qu’une autre vingtaine sont prévues, sur la décennie à venir. Pour celles-ci, une dizaine de permis de construire sont déjà délivrés, tandis que l’autre moitié est constituée des projets concrets, parfois entérinés, à l’instar des futurs immeubles sur le périmètre de la nouvelle gare TPF.

Chiffres et tendances

Une quarantaine de projets donc, qui représentent 1800 logements environ. La commune de Châtel-St-Denis, pour calculer le potentiel de nouveaux résidents qui pourraient s’y installer, se base sur le même chiffre, «prudent», que celui utilisé par le canton: 2,5 habitants par logement en moyenne. Il en résulte une capacité d’accueil de 4600 habitants supplémentaires, dans un avenir relativement proche (voir infographie des principaux projets). Tous ces chiffres ont été obtenus auprès du service technique de la ville, qui tient à jour une liste de tous les projets en construction.

Aujourd’hui, le chef-lieu compte 7170 habitants. Ces cinq dernières années, sa population a augmenté de manière constante, d’environ 2% par année. Selon les projections de la commune, présentées notamment lors de la dernière séance du Conseil général (voir Le Messager de vendredi dernier), les autorités s’attendent – si cette tendance reste stable – à passer la barre des 8000 habitants en 2023. Seulement, les autorités ont également indiqué que, d’après des prévisions plus détaillées, prenant en compte les mises à l’enquête, les appartements actuellement disponibles et les constructions en cours, c’est le cap des 9000 habitants qui pourrait être franchi. Or, ces deux estimations sont bien en dessous des quelque 11700 habitants potentiels que les projets en cours laissent présager.

«Croissance et logements en phase»

Le marché immobilier, à Châtel-St-Denis, aurait-il les yeux plus gros que le ventre? Les promoteurs se montreraient-ils trop gourmands? Eléments de réponse avec l’ancien journaliste économique Paul Coudret, aujourd’hui retraité. L’homme de 65 ans a notamment officié comme conseiller économique pour la BCV, puis à la BCF, mais aussi pour la Chambre de commerce et d’industrie du canton de Fribourg. Il y a deux ans, il donnait une conférence sur les panoramas économiques veveysans, en lien avec le marché immobilier, dans le cadre d’une réunion orchestrée par la Région Glâne-Veveyse (RGV), à Châtel-St-Denis.

Selon lui, il n’y a aucune raison, pour l’instant, de tirer la sonnette d’alarme: «Que ce soit pour les locations ou les propriétés, je ne me fais pas de souci quant à la situation de l’immobilier à Châtel-St-Denis. La croissance démographique actuelle est en phase avec la production de logements.» Mais comment appréhendet-il le taux de logements vacants du cheflieu, situé au dessus de la moyenne (1,8% en 2018 pour la Veveyse, selon l’étude de Wüest Partner SA de 2019 pour la BCF), alors qu’un marché à l’équilibre présente un taux de 1,5%? «C’est plutôt rassurant, ça montre qu’il y a encore de quoi loger les gens. Mais, à mon avis, ce chiffre est faussé par la situation des Paccots, où il y a beaucoup d’appartements vides. Et il n’est pas très représentatif, car il est calculé en juin et ne s’applique pas à la situation du marché durant toute l’année.»

Aucun risque de bulle

D’après Paul Coudret, la croissance démographique prévue à Châtel-St-Denis devrait bel et bien avoir lieu: «La croissance économique de la Veveyse est en grande partie celle de son chef-lieu, où les entreprises du secondaire et du tertiaire sont largement concentrées. Cette commune se situe entre deux pôles de développement importants, la Gruyère et la Riviera. Le prix du mètre carré y est encore attractif. Rien d’étonnant donc à  l’afflux de gens voulant s’y installer, et cela depuis plusieurs années. A court et à moyen terme, je pense que la démographie châteloise va continuer d’augmenter.»

Ainsi, pour lui, ces nouveaux logements bientôt sur le marché devraient trouver preneur. Que l’offre soit légèrement supérieure à la demande, Paul Coudret ne le remet pas en question. Mais de là à ce qu’une bulle immobilière existe, et éclate dans un futur proche, ce n’est selon lui pas envisageable: «J’ai l’impression que les autorités du district, préfet et syndics compris, ainsi que la RGV, ont été plus prudentes qu’ailleurs, que ce soit en Gruyère, en Sarine ou à Fribourg même.»

«Marché surévalué»

Si Paul Coudret se veut plutôt optimiste en ce qui concerne la Veveyse, cela ne l’empêche pas d’être critique lorsqu’il parle de la situation cantonale en général. A cette échelle, il estime qu’il existe, à l’heure actuelle, une vraie «tension du marché immobilier». Selon lui, ce secteur est totalement surévalué. «Nous sommes plusieurs à penser que le marché immobilier du canton est surévalué d’environ 30%. Il y a une véritable surcote. Ceux qui louent pourraient baisser les prix des loyers et s’y retrouver.»

Mais qu’est-ce qui pourrait pousser les acteurs de ce marché à une telle réévaluation? «Quand il y aura vraiment trop d’appartements vacants, c’est là que les professionnels de l’immobilier vont commencer à souffrir. D’ailleurs, le fait que des avantages soient déjà proposés, comme des mois de location offerts, des places de parc gratuites ou encore des abonnements de transports publics, sont autant de signes qu’il y a quelque chose de malsain dans le marché fribourgeois.»

Pression de la Riviera

Le promoteur immobilier Marc Waechter, lui aussi, se veut confiant. Wamaco SA compte actuellement trois projets importants. Deux sont en passe d’être finalisés: dix logements aux Rochettes, cinquante et un à la route de la Péralla. L’autre, situé à la route de Montreux, dispose déjà d’un permis de construire, mais les travaux n’ont pas encore commencé. Il représente à lui seul quatre immeubles, pour cent cinq logements, soit environ 260 habitants potentiels.

Marc Waechter ne pense pas que ces appartements auront du mal à se remplir: «Nous subissons toujours une forte pression de la Riviera. Là-bas, les projets se font rares et les prix sont très chers, ce qui pousse les gens vers Châtel-St-Denis. Le prix d’un 100 m2, par exemple, peut être estimé à environ 800 000 francs, voire 900 000 francs sur la Riviera, alors qu’à Châtel-St-Denis il se situe aux alentours des 600 000 francs. La question est la suivante: “Est-ce que, pour 200 000 francs de moins, je veux bien faire dix minutes en voiture?” Eh bien, pour l’instant, la réponse est toujours “oui”.»

«Les gens veulent du neuf»

D’après lui, un autre facteur est à prendre en considération, expliquant que les nouveaux immeubles se remplissent relativement facilement: «Les gens, aujourd’hui, veulent du neuf. Les vieux bâtiments, qui n’ont pas été rénovés récemment, vont progressivement se vider», affirme-t-il. Une tendance que confirme Annick Vauthey, membre du comité de la Chambre fribourgeoise de l’immobilier, qu’elle a présidée durant six ans, et directrice de Régie Châtel SA depuis 2004, l’une des principales régies actives dans le district.

«Tout d’abord, il faut distinguer les PPE et les locations. Le marché des PPE se porte bien. Pour les locations, par contre, c’est différent. Le parc des logements plus anciens devrait effectivement subir des vacances, parce qu’une certaine catégorie de la population cherche plutôt du neuf, déclare-t-elle. Nous conseillons donc aux propriétaires de relooker leurs appartements vides, voire de les remettre à neuf, pour les rendre attractifs.»

Selon elle, la situation du marché de l’immobilier châtelois est «relativement saine». Un marché qu’elle qualifie de «vivant». Toutefois, confrontée aux quelque 1800 logements qui seront prêts dans les dix prochaines années et leur capacité d’hébergement, Annick Vauthey sort sa calculette et s’exclame: «Je ne crois pas que ce sera possible de les remplir. Si les premiers ne trouvent pas preneur, certains autres projets seront peut-être mis en attente. Tout simplement parce que, si un immeuble se construit et ne se remplit pas, les charges, elles, sont bien réelles. Non, vraiment, 1800 logements sur dix ans, c’est trop. La population ne pourra pas tous les absorber, j’en suis convaincue.»

Un marché «inarrêtable»

Une soixantaine de nouveaux logements mis sur le marché par année est un ordre de grandeur qui lui paraît «raisonnable». Un chiffre qu’elle obtient en prenant en compte le taux moyen de croissance de la population châteloise par année, qui est d’environ 2%. «Ce qui ne fait aucun doute, c’est que Châtel-St- Denis possède beaucoup d’atouts: la ville se trouve dans une région charnière entre Fribourg et Lausanne. Elle bénéficie du nœud ferroviaire tout proche de Palézieux. Elle a de belles cartes à jouer.»

Annick Vauthey envisage l’avenir avec lucidité, tout en étant consciente de la manière actuelle qu’ont les locataires d’appréhender le logement: «De toute façon, le marché ne va pas s’arrêter d’un coup. Surtout au niveau du locatif. Les gens, aujourd’hui, bougent plus qu’auparavant. Ils déménagent plus volontiers et s’adaptent plus rapidement. Mais il faudra tout de même que la croissance soit mesurée, parce qu’elle apportera avec elle des nouveaux enfants à mettre à l’école, des routes supplémentaires à déneiger, etc. Ce ne sera pas évident de tout coordonner.»

La nouvelle locataire châteloise Aurélie Biolley, elle, n’accordait pas une importance capitale au fait que son appartement soit neuf. Néanmoins, elle s’estime très satisfaite qu’il soit équipé des commodités les plus récentes. «J’y suis hyper bien. Depuis que je m’y suis installée, je ne regarde plus les autres offres. Si je dois changer un jour, c’est parce que ma situation professionnelle aura drastiquement changé. Ou alors, parce que je me mettrai en ménage (sourire)

Si ces cas de figure se présentent, Aurélie Biolley ne devrait normalement pas avoir trop de mal à se trouver un nouvel appartement. Car les chiffres sont sans équivoque: à ce rythme, Châtel-St-Denis disposera bientôt d’un surplus de logements, que sa croissance démographique sera incapable de combler.


Christian Marmy

* Cette enquête a été élaborée dans le cadre du Centre de formation au journalisme et aux médias (CFJM) à Lausanne

 


Interview du syndic de Châtel-St-Denis Damien Colliard:

«Châtel-St-Denis n’est plus le petit village qu’il était auparavant»

A l’heure actuelle, il y a, à Châtel-St-Denis, quarante projets de construction de bâtiments résidentiels, pour un total de 1800 logements, soit une capacité d’environ 4600 habitants supplémentaires. C’est trop, selon vous?

Damien Colliard: Il faut avant tout pondérer la chose. Tous ces logements ne vont pas être prêts en même temps ni l’année prochaine. Leur mise sur le marché va être étalée sur plusieurs années.

L’ancien conseiller économique Paul Coudret estime que, dans ce domaine, les autorités veveysannes se sont montrées plus prudentes que celles d’autres districts, de la Gruyère ou de la Sarine par exemple. Pensez-vous que ce soit le cas?
Non, je ne suis pas d’accord avec ça. La situation immobilière d’une ville n’est pas uniquement liée à sa politique communale. Actuellement, elle est surtout liée à la situation financière et économique du pays, notamment aux intérêts hypothécaires très bas. Cela ne concerne donc pas seulement Châtel-St-Denis ou la Veveyse, mais toutes les communes suisses.

Quel est votre sentiment sur la perspective que Châtel-St-Denis passe la barre des 10 000 habitants dans un avenir proche?
C’est prévu pour 2030 environ. C’est un phénomène déjà connu depuis plusieurs années. Nous savons que la population va augmenter, d’une manière considérable. Nous en sommes conscients et c’est pourquoi nous développons toute une série de projets afin d’accueillir ces nouveaux habitants dans les meilleures conditions: par exemple, nous construisons une nouvelle école (l’école des Pléiades, n.d.l.r.), nous agrandissons le Cycle d’orientation et nous travaillons à la mise en service de la deuxième partie de la route cantonale.

Que répondez-vous à ceux qui voient d’un mauvais œil l’évolution et la croissance démographique de votre commune?
C’est clair que Châtel-St-Denis n’est plus le petit village qu’il était auparavant. Mais c’est une situation globale, due à l’augmentation de la population mondiale. D’autre part, dans notre pays, la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) impose la densification des centres urbains. Châtel-St-Denis, qui est un pôle régional, en est directement impactée: nous densifions le centre et préservons les zones agricoles et forestières. D’un autre côté, la LAT freine le développement des petits villages.

Etes-vous confiant quant à l’avenir immobilier et démographique de Châtel-St-Denis?
Oui, tout à fait. Nous suivons régulièrement les projections et nous travaillons dans ce sens. Ce n’est pas comme si cette croissance nous tombait dessus maintenant, par surprise.
 

Propos recueillis par Christian Marmy

L’état actuel du projet de Montmoirin. Au final, le nouveau quartier comprendra douze villas et seize immeubles, pour une capacité totale de 700 habitants. CM
L’état actuel du projet de Montmoirin. Au final, le nouveau quartier comprendra douze villas et seize immeubles, pour une capacité totale de 700 habitants. CM

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