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Châtel-St-Denis

Des brochets châtelois à la table de la comtesse

A la fin du canal, qui reliait le lac Lussy au Bourg, s’était formé un étang. VJ

SÉRIE D’ÉTÉ CHÂTEL-ST-DENIS

Durant tout l’été, Le Messager vous emmène à la découverte du patrimoine paysager de la région, entre histoire et nature. Cinquième des six épisodes avec l’étang disparu aux abords du chemin de la Gurla, à Châtel-St-Denis.

«On a pêché dans l’étang de Saint-Denis, en mai 1320, pour le ravitaillement de l’hôtel de la comtesse (de Savoie, n.d.l.r.), dix-neuf tanches et treize brochets.» Le livre de Louis Philipona* retranscrit précisément les dépenses de la seigneurie et du bailliage de Châtel-St-Denis. Aux détours de ces lignes de comptes, on trouve la trace d’un «étang» et d’un «grand fossé à la Neirigue», le Bourg actuel de Châtel-St- Denis. Sept siècles plus tard, quelques traces dessinent encore le paysage au chemin de la Gurla.

Sur place, Jacques Colliard m’accueille pour me raconter ce pan de l’histoire châteloise, souvent méconnu. S’il ne se définit pas comme un «féru d’histoire», il en connaît pourtant un rayon. C’est en observant les tas de cailloux, surmontés d’une haie foisonnante, et qui longent la propriété familiale, qu’il a commencé à s’interroger sur le passé de ce champ qu’on appelle «l’étang». Il se plonge alors dans le livre volumineux de Louis Philipona. Il remonte le fil de l’histoire et il en tire des déductions, qui ne sont pas des certitudes, précise-t-il.

Un étang disparu

Il découvre notamment qu’au XIIIe siècle, les Châtelois ont creusé un canal entre le lac Lussy et la ville pour s’alimenter en eau. Le lac Lussy, où un outillage datant d’environ 13 500 av. J.-C. a été découvert en 1998, ce qui est la plus ancienne trace humaine actuellement connue en terre fribourgeoise.

A l’embouchure du canal, un étang s’était visiblement formé. D’ailleurs, il n’est pas rare que lors de fortes précipitations, l’étendue d’eau réapparaisse, indique Jacques Colliard. Dans l’ouvrage de Louis Philipona, on peut lire que «trente-trois sous lausannois» ont été dépensés pour le salaire de deux pêcheurs avec leurs rets (filets) «chargés de prendre le poisson dans l’étang seigneurial» ou encore cinq sous pour l’achat d’une PATR
chaîne en fer «afin d’attacher au rocher la barquette de l’étang».

Et ils ne se contentaient pas de pêcher: «(...) trente-cinq sous pour la dépense de quatre pêcheurs qui ont pris, pendant le mois susdit, une certaine quantité de poissons dans l’étang de Châtel et qui les ont apportés ensuite dans celui d’Evian, où ils s’y trouvent encore.» Le canal est enterré au XIXe siècle et avec lui, l’étang disparaît. Il est devenu le «canal des usiniers», car il alimentait les différentes usines de Châtel-St-Denis. «Ce que je ne sais pas, c’est si l’étang s’est formé tout seul et qu’ils ont décidé de l’exploiter ou s’ils sont intervenus pour retenir cette eau au début», souligne Jacques Colliard.

D’anciennes fortifications

Proche de cet étang, on a érigé les «remparts» de la Chaussée, le long de l’actuel chemin de la Gurla. Un moyen pour Châtel-St-Denis, qui est alors sous l’influence savoyarde, de se protéger des Fribourgeois qui ont des velléités sur la ville. «Deux milliers de pieux» sont alors achetés pour réaliser cette «clôture» de la ville, depuis le moulin situé sous l’église jusqu’au donjon du château. Des fonds sont également alloués pour nettoyer l’étang «obstrué de joncs et de racines (...) pour la préparation du terrain et les fondations du mur de clôture, du 5/6 A GER côté de l’étang».
Le «terrassier Henri» ensuite engagé pour «divers ouvrages sur la chaussée de l’étang et pour empêcher les eaux de l’étang de faire irruption hors de l’étang». A plusieurs reprises, des dépenses seront faites pour la réparation de ce mur qui subit les affres du temps. La seule trace encore visible de ces fortifications est un enchevêtrement de cailloux et une végétation luxuriante, en contrebas du chemin de la Gurla. Ils permettent d’imaginer le visage de la cité châteloise au Moyen Age et à quoi pouvait ressembler cet étang.
Valentin Jordil

*Histoire de la seigneurie et bailliage de Châtel-St-Denis en Fruence de 1100 à 1800, par Louis Philipona, 1917, 920 pages

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