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Châtel-St-Denis

Les acteurs de l'ombre du carnaval

Cette nuit, les vitrines des commerçants châtelois seront prises d’assaut par les scribouilleurs, qui y laisseront des messages piquants, impertinents et sarcastiques, mais toujours humoristiques. CM

CARNAVAL CHÂTEL-ST-DENIS

Demain, Châtel-St-Denis va se réveiller parée de nouvelles décorations, allant de pair avec son carnaval. Les vitrines de ses commerces seront recouvertes de messages humoristiques. Mais qui sont ces scribouilleurs et comment agissent-ils? Le Messager s’est intéressé à ces (réd)acteurs de l’ombre, qui tiennent à préserver leur anonymat.

Le carnaval des sixties, qui a officiellement démarré hier soir, se poursuit tout le week-end dans le chef-lieu veveysan. Les Châtelois, demain matin, découvriront une nouvelle fois les vitrines de leur ville recouvertes de messages humoristiques. Sarcasmes, piques bien senties, ces phrases, souvent lues avec délectation, marquent les esprits et donnent une atmosphère d’autant plus festive. Leurs auteurs? Des individus de l’ombre, agissant au plus profond de la nuit: les scribouilleurs...

Parmi eux Aude Vaisselle*, qui a bien voulu rencontrer Le Messager et expliquer les ficelles de ces opérations dans le feutré. Depuis une vingtaine d’années, elle fait partie des membres de la Confrérie du Carnaval de Châtel-St-Denis. «C’est le goût de l’interdit qui m’a motivée, déclare-telle. A carnaval, tout est permis. C’est le seul moment de l’année où on peut changer sa manière d’être et se lâcher totalement.» Elle explique qu’à l’origine les scribouilleurs et les rédacteurs de La Fièvre, le journal satirique du carnaval, ne faisaient qu’un. «Il a été créé pour soutenir financièrement la manifestation et faire ressortir des histoires qui se sont passées durant l’année.» Aude Vaisselle perpétue la tradition, puisqu’en plus de son rôle de scribouilleuse elle fait partie de ces plumes autant anonymes qu’impertinentes.

Préparation méticuleuse

Dès le mois de décembre, l’«équipe de choc», composée cette année de dix individus, prépare son coup. Elle effectue tout d’abord des repérages, pour se mettre à jour quant aux changements apparus en ville. «Là, de premières idées peuvent apparaître. Ensuite, nous nous réunissons lors de deux soirées, en janvier, pour nous mettre d’accord sur les messages que nous allons laisser. Ils peuvent porter sur le propriétaire du commerce, sur les produits vendus ou d’autres choses. Des fois, on s’inspire en parcourant les sites web.»

Une fois prêts, les scribouilleurs passent à l’action, de manière foudroyante, dans la nuit du vendredi au samedi. «Nous formons des équipes de deux. Chaque binôme a son secteur. Un des deux est équipé d’une lampe de poche et des textes, qu’il dicte à celui qui écrit. Nous agissons avant le lever du soleil, disons… entre 4 h 30 et 6 h 30.» Sont-ils grimés ou masqués, afin de ne pas être identifiés, au cas où des badauds, des fêtards ou des travailleurs matinaux croiseraient leur route? «Non, nous sommes soit habillés normalement soit déguisés pour la fête», confie-t-elle.

Impitoyable dérision

Son «méfait» accompli, la fine équipe se rassemble au petit matin. Elle se rend ensuite chez un membre de la Confrérie ou chez son abbé-président – qui n’est autre que le syndic de Châtel-St-Denis Damien Colliard – où elle prend le petit déjeuner. Or, son opération n’est pas tout à fait terminée. «Nous savons qu’un commerce nettoie sa vitrine le samedi matin à 8 h, sourit Aude Vaisselle. Alors, nous faisons exprès de repasser après (rires).» La scribouilleuse indique qu’auparavant les messages étaient laissés à la peinture. Or, pour ménager les sensibilités et à cause des complications dues au gel, ils utilisent des feutres depuis quelques années. De plus, ils font attention à ne pas abîmer les autocollants et autres affiches ornant les vitrines. «Par contre, plus ce sera marqué qu’il est interdit de laisser des messages, plus il y aura d’annotations, de dessins et d’autres ajouts (sourire).» Une forme d’insoumission à l’autorité ou d’attitude rebelle? «On peut appeler ça comme ça», s’amuse-t-elle.

Le but, toutefois, n’est pas de dénoncer ni de heurter trop brutalement. «On y va soft, estime Aude Vaisselle. Comparés à ceux des Brandons de Payerne, nos messages sont plutôt gentils. D’ailleurs, nous allons chaque année observer ce qui se fait dans d’autres manifestations similaires, en guise d’inspiration.» C’est donc dans un état d’esprit bon enfant que les scribouilleurs se plaisent à épingler les Châtelois et à livrer des anecdotes de la vie locale.

Surprises pour tous

Aude Vaisselle indique que, parfois, des idées surgissent au dernier moment, alors que les duos sont déjà en pleine action. «Ça peut donc arriver que nousmêmes soyons surpris de certains textes, que nous découvrons comme tout le monde le samedi.» Lorsqu’un de leurs membres leur donne un retour sur une phrase de l’ordre de «celle-là, chapeau, elle est bien trouvée!» ils savent qu’ils ont visé juste.

Ces scribouillages font partie de la tradition et, d’après Aude Vaisselle, animent et donnent un charme supplémentaire à la fête. Elle a bon espoir que cette coutume se maintienne, même si d’après elle ce sont plutôt les anciens et les citoyens d’un certain âge qui y sont spécialement attentifs. Elle indique néanmoins que, parmi la dizaine de scribouilleurs qui vont sévir cette nuit, deux d’entre eux sont jeunes. La relève semble donc assurée: les phrases malicieuses ont bien des chances de continuer à embellir la fête lors des prochaines éditions.

Christian Marmy

*identité connue de la rédaction


«Hémorragie d’histoires drôles à raconter»


Aude Vaisselle*, qui fait partie des scribouilleurs qui séviront cette nuit, est également l’une des plumes anonymes qui rédigent La Fièvre, le journal satirique du Carnaval de Châtel-St-Denis. Elle indique que ses rédacteurs, au nombre de huit cette année, risquent de ne plus compter que trois membres l’année prochaine, si personne ne les rejoint. Mais d’après elle, il ne s’agit pas de l’élément le plus problématique: «Nous restons attentifs aux potins, mais nous assistons à une véritable hémorragie d’histoires drôles à raconter. Désormais, tout est directement posté sur les réseaux sociaux. La jeune génération ne pense plus à garder des choses croustillantes et à nous les confier. Nous ne pouvons donc plus les récupérer, car nous nous refusons à faire du “réchauffé”.»

Une nouvelle donne qui fait que l’équipe de La Fièvre, qui doit terminer le journal pour la mi-février, se retrouve parfois face à une page blanche en novembre. «Deux mois et demi pour contacter tout le monde et trouver du contenu qui peut intéresser, cela crée une certaine fatigue. D’ailleurs, si les rédacteurs s’en vont, c’est pour cette raison.» Des réflexions sont en cours quant au tirage du journal (750 exemplaires cette année alors que les années précédentes en comptaient plus d’un millier). Sa date de lancement est également remise en question, mais, d’après Aude Vaisselle, La Fièvre n’est pas en danger, étant donné que ses collaborateurs sont bénévoles et que, à part les frais d’impression, elle ne crée que des rentrées d’argent, qui font du bien aux finances du carnaval (un exemplaire, vendu neuf francs, peut être obtenu dans tous les points de vente habituels ainsi qu’à la caisse principale).

«Chaque année, beaucoup de gens sont tout contents de l’acheter le jeudi soir au loto. Ils peuvent ensuite se moquer des personnes concernées durant tout le week-end», sourit Aude Vaisselle. Elle indique enfin que La Fièvre attire beaucoup d’annonceurs et que ceux-ci, s’ils sont châtelois, sont assurés de ne pas être oubliés par l’équipe des scribouilleurs. «Une pub dans La Fièvre équivaut à un message sur sa vitrine», résume-t-elle gaiement. CM

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