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«On a ouvert la cage aux oiseaux»

L’allègement des mesures grâce au vaccin permet de voir dans le ciel un avenir un peu plus radieux pour les résidents des EMS fribourgeois. LE MESSAGER

SOINS CHÂTEL-ST-DENIS

Les EMS fribourgeois bénéficient depuis lundi d’un allègement des mesures pour les résidents vaccinés. Reportage à la Maison St-Joseph.

Il souffle un vent de printemps aux abords de la Maison St-Joseph, à Ch�tel-St-Denis. Les couleurs semblent plus vives, l’air plus respirable. Des visiteurs pénètrent dans le b�timent, s’engouffrent dans les chambres de leurs proches. Sur la porte d’entrée pourrait �tre écrit un mot: soulagement.

Depuis lundi, les mesures restrictives dans les maisons de retraite ont été allégées dans le canton de Fribourg pour les résidents vaccinés. I ls peuvent de nouveau sortir de l’établissement, tandis que les visites en chambre sont autorisées. Ils se voient aussi délestés du masque, jusqu’alors obligatoire.

Le sou lagement chez les vaccinés est d ’autant plus frappant qu’il émane d ’une inéga lité inév itable. Des zones ont été aménagées et séparent ceux qui ont reçu le sérum des autres, notamment dans les espaces de rencontre et les salles à manger. A St-Joseph, quatre «habitants» sur cinq ont reçu l ’immunité. Si le vaccin a connu quelques appréhensions de prime abord, il a rapidement convaincu . « Je me suis dit que des professionnels de la santé ne nous administreraient pas ce produit s’il était nocif», estime Maguy. M�me si d ’autres se montrent plus réticents. «Je ne pense pas qu’une piqûre qui affaiblit le corps puisse sauver le monde», l�che un résident.

Séparation douloureuse

«Je n’ai pas hésité à me faire vacciner, pour moi, mais surtout pour les autres», explique Myriam. Pour Johanna Heim, qui n’a pas encore reçu la deuxième dose, l’attente se prolonge. Surtout que son mari refuse catégoriquement l’injection. «Je me réjouis de rejoindre les personnes immunisées dans les espaces communs et leur liberté. Mais je ne vais pas abandonner mon époux pour autant.» Eux qui partagent les repas, mais pas la chambre – ils ne résident pas dans le m�me secteur – resteront donc dans les espaces confinés, là où tout est aménagé pour respecter les distances.

Après soixante ans de mariage, célébrés l’an dernier, le couple s’est vu séparé, par la force des choses. Les secteurs se sont isolés et impossible de transgresser les frontières des services. «Ça fait un sacré vide. La journée, encore, on a de la distraction, mais le soir, souvent, j’entends un bruit et je m’imagine mon mari entrer dans ma chambre. Et ce n’est pas lui. Ça laisse toujours un sentiment de déception.»

Le Covid, le couple Heim l’a subi, tous deux positifs il y a de cela quelques mois. «Nous ne l’aurions m�me pas su sans le test, raconte l ’épouse. Nous n’avons pas eu le moindre sympt�me.»

Bisous en douce

Myriam, pour sa part, et malgré les bisous qu’elle avoue avoir donnés en douce à sa fille, n’est jamais tombée malade. Elle assure avoir bien vécu la pandémie. «J’ai une jolie chambre avec balcon. Quand les visites étaient interdites, ma famille venait sur la terrasse et je lui faisais coucou depuis ici. Le seul moment difficile a été les f�tes de Noël, j’aurais aimé les passer auprès de mon entourage.» La Ch�teloise se réjouit d’autant plus de sa liberté retrouvée qu’elle pourra enfin retourner chez sa coiffeuse particulière, après cinq mois de privation. «C’est très important.»

Lundi, la résidente de 81 ans a sabré le champagne avec sa fille pour célébrer les retrouvailles proches. «On a ouvert la cage aux oiseaux», sourit-elle. Jonas Ruffieux


«On oublie trop vite les héros du quotidien»

Interview avec Patricia Flückiger, infirmière en chef et directrice de site ad interim.

La maison Saint-Joseph a rouvert ses portes lundi, du moins pour la majorité des résidents. Etes-vous soulagée ?

Patricia Flückiger: Pas encore. Il y a beaucoup de choses à mettre en place. Par ailleurs, les offres sont différentes en fonction de la vaccination ou non des habitants. Ça a l’air de bien se passer, tout le monde prend ses marques, mais c’est encore instable.

Quelle était la position du personnel par rapport à la vaccination? Avez-vous mené une campagne?

On a dit que ce serait bien de se faire vacciner, mais on n’a pas encouragé. Il s’agit d’une décision très personnelle, on ne forcera personne. Je ne veux pas faire de prosélytisme pour le vaccin, on n’a pas évoqué les avantages potentiels. D’ailleurs, on ne les connaît pas vraiment. Cependant, il faut noter que la plupart ont désiré le vaccin, nous avons déjà atteint un taux de couverture de 78,3%. Parmi les membres du personnel, ce chiffre avoisine les 30%.

Qu’est-ce que ce vaccin va changer dans votre manière de travailler?

Rien, tant qu’on ne reçoit pas de nouvelles directives de la task force. On garde donc les masques, la désinfection, les changements de v�tement entre l’intérieur et l’extérieur et les distances. Pour le secteur de l’animation, il y aura un peu plus d’ouverture. Les activités resteront par unité, mais il y aura au moins la possibilité de sortir.

Quelle a été l’évolution de l’état mental des résidents durant la pandémie?

Il y a eu trois phases. Premièrement, la satisfaction par rapport aux mesures qui les protégeaient. Et puis il y a eu un ras-le-bol et l’envie de retrouver la liberté. Ici, on a assisté à un certain l�cher-prise. Nous avons subi de nombreux décès et tous n’étaient pas dus directement au Covid. Les restrictions ont remis en question le sens à leur vie. Puis en troisième instance, il y a eu une phase d’acceptation. La situation est devenue la routine. Mais m�me, lorsqu’on a annoncé la réouverture, ils étaient tout contents.

Et pour vous, les soignants, le personnel?

Ça a été une période très, très compliquée et ça l’est encore. Je pense qu’on oublie un peu trop les héros du quotidien, et pas que les soignants, mais tous ceux qui étaient là. Pour le moment, tout le monde tient, car il faut faire face, il faut continuer, en équipe. Mais je ne sais pas combien de temps la corde va encore résister. Combien d’entre nous vont se retrouver en burn-out? Le personnel est fatigué.

Par contre, et je tiens à le relever, tout le monde a joué le jeu, nous permettant de maintenir le cap. Il y a eu des moments de cohésion bien plus importants qu’avant, de soutien entre les équipes, c’était touchant. Sans oublier toutes les aides que, nous avons reçues de l’extérieur. Ce qu’il s’est passé prouve que, finalement, nous ne sommes peut-�tre pas une société d’individualistes. Peut-�tre que ça nous a fait revenir à de vraies valeurs. JR


Soulagés, rassurés, mais toujours un peu craintifs

Le soulagement est réciproque, à la Maison St-Joseph, à Ch�tel-St-Denis. Rassuré de voir les habitants vaccinés, le personnel se sent également plus à l’aise vis-à-vis de ces personnes à haut risque. Car en plus de toutes les préoccupations, une certaine culpabilité menaçait les membres des maisons de retraite. «Une peur constante d’amener le virus au sein de l’établissement, évoque Nikita Pergher, assistante socio-éducative. Nous avons cette responsabilité d’éviter de multiplier les contacts.»

Evidemment, le vaccin n’assure pas une sortie rapide de crise sanitaire et les employés vont continuer à respecter le comportement adapté (lire ci-contre). «Dire qu’on est tirés d’affaire serait exagéré, exprime Isabel Domingues, assistante en soins et santé communautaire. Mais on va vers des jours meilleurs. Avec le vaccin et les autres protections, on devrait s’en sortir.»

Si les soignants ne verront pas leur quotidien chamboulé par les nouvelles mesures plus permissives et le vaccin, cela change la donne pour le secteur de l’animation. «Nous allons retrouver un peu de liberté, se réjouit Nikita Pergher. La période a été très compliquée, nous étions limités et les mesures changeaient fréquemment, il fallait constamment adapter nos activités. Pour le bien-�tre de nos résidents, ça nous tenait à cœur de maintenir au maximum les occupations. Par exemple, nous proposons des cours de gym, une fois par semaine. Afin de respecter les limitations de personnes, nous avons par moments dû effectuer six séances hebdomadaires.»

Un traumatisme encore bien présent

Le r�le important du personnel d’EMS est devenu vital durant la crise. «L’attention et l’affection sont des besoins de base, poursuit Nikita Pergher. Avec l’interdiction des visites, il fallait combler la solitude des résidents. Soutien, jeux, écoute, tout pour qu’ils ne se sentent pas oubliés.» Des moyens de communication technologiques ont également été proposés, afin de maintenir une relation avec l’extérieur.

Aujourd’hui, la situation épidémiologique s’améliore et le vaccin semble donner quelques gages d’un futur moins sombre. La peur, elle, reste présente. «On espère vraiment que ce sera efficace et que jamais on ne devra replonger dans l’horreur des derniers mois.» Nikita Pergher affiche un sourire optimiste qui ne saurait effacer l’émotion sur son visage à l’évocation des souvenirs douloureux. «Inconsciemment, on essaie d’oublier cette période et on aimerait se convaincre qu’on a fait le maximum pour nos habitants. On aurait voulu faire plus, mais on était tellement limités…»

Ce qu’il s’est passé dans les institutions de soins ou dans les maisons de retraite semble parfois ne pas avoir franchi les portes des établissements. Une sorte de déni, peut-�tre, ou de manque d’informations, tout simplement. «La majorité ignore que beaucoup ici ont succombé», témoigne la jeune employée. A la Maison St-Joseph, si la première vague a constitué un choc, c’est la deuxième qui s’est avérée un cataclysme. «Des décès tous les jours, l�che Isabel Domingues la gorge serrée. Et puis la moitié du personnel de notre secteur a contracté le virus. Nous étions en sous-effectif, en stress constant. Physiquement et moralement, c’était horrible. Nous nous sommes serré les coudes, il fallait avancer. Mais voir partir ainsi nos résidents un par un nous a anéantis.» Et Nikita Pergher d’ajouter: «A certains moments, nous étions confinés par étages. Nous devions alors supporter la lourde charge mentale sans m�me bénéficier du soutien des collègues. C’était très, très dur.» JR

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