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Philippe Devaud, l'art du bois pour valoriser le handicap

A la tête de l’atelier bois depuis les débuts de La Belle Etoile en 1993, Philippe Devaud vient de prendre sa retraite et pose à travers un castelet de kamishibaï, l’objet phare écoulé à près de 2300 exemplaires en trente ans. ANTOINE VULLIOUD

CHÂTEL-ST-DENIS

Natif de Porsel, Philippe Devaud fait partie des pionniers de La Belle Etoile, à Châtel-Saint-Denis. A l’heure de la retraite, il revient sur cette aventure de trois décennies.

Le 2 août 1993, Philippe Devaud était l’un des deux premiers moniteurs à intégrer le bâtiment flambant neuf de La Belle Etoile, à Châtel-St-Denis. Vingt-neuf ans et quelques mois plus tard, il vient de déposer ses vernis, ses colles, sa visseuse et ses papiers à poncer pour transmettre les clés de l’atelier bois à ses successeurs.

«Je me souviens bien de ce premier jour, raconte le frais retraité. Je me suis retrouvé avec Stéphanie Thürler, la monitrice de la cuisine, à faire l’inventaire de la vaisselle.» Il en rigole. Le bâtiment sentait la peinture fraîche, les machines de la menuiserie brillaient de tous leurs feux. Elles sont toujours là, increvables.

«Le 16 août, les cinq premières personnes en situation de handicap sont arrivées. Je dois bien avouer que j’étais un peu perdu. Tout était à inventer. J’avais pris quelques bouts de planche et je leur ai montré comment planter des clous.» Un défi, assurément.

Trois décennies plus tard, il quitte une institution qui rayonne en Veveyse et qui prépare, comme chaque période de l ’avent, sa boutique de Noël, notamment ouverte en nocturne tous les mercredis jusqu’à 19 h.

La voie du bois

«Gamin, j’aurais voulu devenir dessinateur en bâtiment. Mais l’orienteur m’a dit que je courrais vers le chômage. Et que, si je choisissais ébéniste, je ne serais pas toute la journée derrière un bureau.» Pour avoir touché à la charpenterie dans le petit atelier de son grand-père, Philippe Devaud choisit la voie du bois. Il ne le regrettera jamais.

Après son apprentissage, il fait son compagnonnage durant nique, avant de rejoindre l ’entreprise de son frère, active dans la fabrication d’escaliers. A côté du job, il crée des jouets en bois, qu’il vend sur les marchés. «Un jour, Thierry Ulrich, le futur directeur de La Belle Etoile, m’a approché: “On lance notre atelier bois. Vous devriez postuler.”»

A l’âge de 36 ans, Philippe Devaud bifurque ainsi vers ce nouveau défi. D’autant plus que le monde du handicap ne lu i est pas étranger, par le biais de l’un de ses frères atteint de trisomie. Et qu’il va dans la foulée se former comme maître socioprofessionnel à l’ARPIH, aujourd’hui appelé Ecole supérieure du domaine social.

Un million de K-lumets

«Le premier objet que nous avons fabriqué? Un tricotin. C’était pratique, car il y avait beaucoup de vis.» Puis au tour de porte-lettres, de dessous-de-plat emboîtés, de maisons pour hérissons, de puzzles et même de scooters en bois, déclinaison du cheval à bascule en version biker. En 1994, La Belle Etoile noue des contacts avec l’institution neuchâteloise qui produit les Klumets, ces petits fagots de bûchettes destinés à allumer le feu. «Pour nos personnes en situation de handicap, ce travail est idéal, car il est facile, répétitif et rassurant, explique Philippe Devaud. Elles se sentent valorisées. Certains peuvent non seulement travailler avec des machines, mais, surtout, fabriquer quelque chose de concret. Quand je les prenais avec moi pour livrer à Lausanne, ils revenaient toujours enchantés.» Malgré une baisse de la demande, La Belle Etoile poursuit cette production, qui se chiffre à plus d’un million de pièces en bientôt trente ans.

Trophée de chasse

Au démarrage de La Belle Etoile, les employés présentaient des handicaps légers à moyens. «Aujourd’hui, nous accueillons davantage de personnes qui souffrent de troubles psychiques», avoue Philippe Devaud. D’ailleurs, deux employés des débuts de l’atelier travaillent toujours dans la maison. «Claude ne se voit pas prendre sa retraite. D’ailleurs, il a toujours accès aux machines.»

Grâce au bouche à oreille et à la qualité du travail, l’atelier bois de La Belle Etoile a fidélisé deux clientèles particulières: les amateurs de kamishibaï (lire ci-dessous) et les taxidermistes. «Un copain d’école m’a approché pour que je lui fournisse des planches de trophée de chasse. Je les débite et les rabote avec les employés, même si je le ferais plus vite tout seul. Deux personnes savent dégauchir, chantourner et poncer.»

L’atelier bois ne se contente pas de copeaux et de sciure. «Un jour, nous avons eu une commande pour coller 80 000 étiquettes pour l’entreprise Säuberlin. Avec notre rythme de travail, ça nous aurait pris treize mois. Or, on n’en avait que deux et demi. Alors, nous avons collaboré avec Horizon Sud, à qui on a repris, en contrepartie, le façonnage de boîtes de chocolats durant quelques semaines.» En outre, La Belle Etoile est régulièrement sollicitée par plusieurs communes veveysannes pour la mise sous pli du matériel électoral. Une diversification bienvenue, aussi pour l’atelier bois.

Famille mordue de Lego

Désormais à la retraite, l’habitant de Villeneuve compte bien rester actif. «Je n’ai pas peur de m’embêter. Avec mon fils et mes petits-enfants, on est tous mordus de Lego. En plus, j’ai plein d’objets en bois à terminer, des petits coffres par exemple. Et je vais prendre mon temps, pour me balader dans la nature et faire des photos.» Christophe Dutoit


L’immense succès des castelets

En plus de vingt-cinq ans, La Belle Etoile a vendu près de 2300 castelets faits main dans son atelier bois. Ces boîtes servent d’«écran» pour raconter des histoires de kamishibaï, ce «théâtre d’images sur papier» prisé par les Japonais. «On a commencé par confectionner vingt exemplaires pour une librairie genevoise, mais elle ne nous a jamais payés, car elle a fait faillite, sourit Philippe Devaud. Sous l’impulsion de l’ancien directeur Thierry Ulrich, nous avons continué d’en faire par lots de 150 pièces, aux formats A3, A4 et A5.»

En 2010, l’atelier céramique a créé une histoire de toutes pièces, avec des dessins réalisés par des personnes en situation de handicap. «Les monitrices m’ont offert une histoire à un seul exemplaire pour fêter le 1000e castelet, se rappelle Philippe Devaud. Elles en Schtroumpfettes, le directeur en Grand Schtroumpf et moi en Schtroumpf bricoleur.» CD

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