Logo

Sports

«J’ai encore les frissons rien que d’en parler»

L’arête du Grand Mont et ses milliers de spectateurs rendent à eux seuls la course exceptionnelle. PHOTOS JOCELYN CHAVY / PIERRA MENTA

SKI-ALPINISME VEVEYSE/SAVOIE

La Pierra Menta fait partie des plus belles compétitions de skialpinisme au monde. Son format raccourci cette année n’a rien enlevé au mythe savoyard, course par étapes en duo, à l’engouement incomparable. Plusieurs athlètes de la région y ont un jour participé. Ils racontent.

Cette année, les traditionnalistes diront que ce n’était pas une vraie Pierra Menta. Covid oblige, la course s’est disputée sur un jour avec un nombre largement limité de participants. Le vibrant public brillait par son absence. Mieux vaut ça qu’une annulation pure et dure, comme en 2020. Mais cette transformation de l’édition 2021 en championnats du monde longue distance, réservés à l’élite de la discipline, n’avait ni le goût ni la saveur de la Pierra Menta, la vraie.

Sur un jour donc, les athlètes devaient parcourir 31 km et 3379 mètres de dénivelé positif, vendredi passé. Les Italiens ont placé deux duos aux 1re et 3e places. La Suisse a sauvé l ’honneur avec le Gruérien Rémi Bonnet et son coéquipier Werner Marti, 2es. M�me topo chez les dames, avec deux patrouilles italiennes en t�te.

Mais on l’a dit. Cette 35e édition de la mythique course disputée en Savoie, sur les pentes du Grand Mont, aura une petite astérisque à c�té du palmarès. Pour rappeler que la Pierra Menta ne signifie pas ça. Mais alors, c’est quoi ? «Le Tour de France du ski-alpinisme». C’est ainsi que plusieurs participants surnomment la course. Explication en trois points.

UNE COURSE PAR ÉTAPES

La Pierra Menta est une course par étapes, quatre en l’occurrence. Et c’est assez rare dans ce sport pour �tre souligné. Tous les jours, plusieurs heures d’effort, pour un dénivelé positif total d ’environ 10 000 mètres. Ceci en enchaînant l ’ascension de 15 sommets cu lminant à plus de 2000 mètres. «Arriver au bout est déjà un exploit», souligne le Ch�telois Yann Blanc, qui compte deux participations, classé en 2005, forfait en 2007. Quatre jours, soit autant de possibilités de subir un pépin, physique ou technique. «La gestion est primordiale», insiste Nicolas Philipona. Le récent champion du monde de verticale, catégorie Masters a dû attendre sa troisième participation pour enfin franchir l’arrivée. Une casse matérielle en 2011, tombé malade en 2013, le contraignant à l’abandon. En 2015, le duo qu’il formait avec Bastien Bugnard s’était classé 75e du classement général masculin, sur 187 partants.

Quatre étapes et un suspense qui dure. Et ça donne un attrait particulier à la compétition. «Les états de forme varient chaque jour, note l’athlète amateur de 39 ans. On peut vite gagner ou perdre des places au classement général.»

«Par ailleurs, le choix du coéquipier s’avère capital, poursuit Christophe Bourdilloud, ancien espoir charmeysan du ski-alpinisme (une dizaine de Pierra Menta au compteur), aujourd’hui pompier professionnel. En plus de vivre l’un sur l’autre durant une semaine, l’effort intense et la souffrance peuvent provoquer des frictions.»

UN PUBLIC EN FOLIE

«Je pense que toute la vallée autour d’Ar�ches-Beaufort s’arr�te de vivre pendant quelques jours, tout le monde va voir la course», déclare Christophe Bourdilloud. «Aucune compétition ne peut concur rencer l’engouement autour de la Pierra Menta, appuie Yann Blanc. On entend des cloches, des klaxons et des encouragements du premier au dernier participant, j’en ai les frissons rien que d’en parler.»

Tous s’accordent sur un moment, un endroit magique: l’ar�te du Grand Mont, le 3e jour de course. Quelque 3000 spectateurs se lèvent à l’aurore, empruntent les remontées mécaniques, puis terminent à pied jusqu’au mythique passage. «L’ambiance est hallucinante. On ne s’entend plus, poursuit Yann blanc. Je souhaite à chaque skieur-alpiniste de vivre ça un jour. Ça prend aux tripes.» Les souvenirs aff luent également chez Christophe Bourdil loud, qui ne manque pas de superlatifs pour évoquer ces instants de vive émotion. «Tu as l’impression d’�tre sur une autre planète. Après trois jours, on est fatigués, courbatus. Puis on arrive devant ce public et on se met à voler.» Du silence à la folie. Nicolas Philipona confir me: «Tu souffres tellement durant l’approche du Grand Mont, il n’y a pas un bruit, personne. Puis d’un coup, tu débouches sur une plate-forme et des ailes s’emparent de ton corps.»

Si les Français se prennent de passion pour leur course, les drapeaux suisses ne sont pas en reste. «De nombreux amis prenaient congé pour venir nous encourager», se souvient Christophe Bourdilloud.

SDFSD UN PARCOURS ÉLITISTE

Contrairement à la Patrouille des glaciers, relativement accessible aux amateurs de ski-alpinisme, la Pierra Menta s’avère élitiste. Déjà, des sélections ont lieu, sur dossier, et sans présenter de résultat antér ieur probant, aucune chance d’�tre retenu. Le niveau général y est très élevé.

Ensuite, le parcours en lui-m�me se veut technique, exigeant. «On passe à des endroits où jamais on ne mettrait les pieds à l ’entraînement», précise Christophe Bourdilloud. Une course aérienne, vertigineuse, selon Pierre-Alain Saudan, qui y avait participé en 2005: «Sur certaines ar�tes, on se retrouve avec 200 mètres de vide des deux c�tés.»

Par ailleurs, le parcours est susceptible d’�tre modifié chaque année. Les décisions se prennent les veilles de course, selon les conditions et la praticabilité des secteurs concernés. Mais toujours, les organisateurs chercheront à proposer un tracé technique, et plaisant. Car ce qui fait aussi le charme de cette classique, c’est la beauté des paysages. «Je pense que c’est la plus belle course au monde», ose Chr istophe Bourdilloud. Tous n’ont qu’un conseil à donner: si l ’opportunité se présente de participer à la mythique Pierra Menta, «ne jamais, au grand jamais refuser». Jonas Ruffieux


Entre records et anecdotes

L’insolite. Frustré par le nouveau format pris par la Pierra Menta 2021, François D’Haene s’est lancé un défi. Le 3 mars, le Français, multiple vainqueur d’ultra-trails, a réussi l’exploit d’effectuer les quatre étapes habituelles de l’épreuve, tout ça… le m�me jour. Soit 91 km et 10 000 m de dénivelé, le tout bouclé en 16 h 42. «Quand j’ai appris que la Pierra Menta cette année se ferait en une seule journée, je me suis dit qu’il y avait un truc marrant à faire», écrit-il sur Strava, le réseau social des sportifs. Lors de la course officielle, il s’est classé 10e, au c�té de son compatriote Baptiste Ellmenreich.

Les monuments. La Pierra Menta est une ligne importante à ajouter à son CV d’athlète. Remporter cette épreuve une fois, c’est déjà réussir sa carrière. Fabio Meraldi a inscrit dix fois son nom au palmarès, entre 1989 et 2000! Dans la course féminine, la Française Claudine Trécourt a levé neuf fois les bras à l’arrivée, à peu près dans les m�mes années. Plus récemment, l’Espagnol Kilian Jornet (trois victoires) et surtout la Française Laetitia Roux (huit) ont marqué l’épreuve de leur empreinte.

La Suisse. Un seul Suisse a remporté la mythique épreuve : Florent Troillet, en 2008, en équipe avec Kilian Jornet. Les Suissesses ont bien plus souvent triomphé en Savoie. Onze fois, le drapeau helvétique a été hissé en l’honneur d’une lauréate suisse. La Blonaysane Maude Mathys a notamment gagné en 2014 avec Laetitia Roux. La Genevoise Séverine Pont-Combe fut la dernière en date, en 2019, elle aussi aux c�tés de la championne française.

L’anecdote. Le Ch�telois Pierre-Alain Saudan compte une participation à la Pierra Menta à son actif, en 2007, avec le Gruérien Claude Fragnière. Antépénultièmes du classement final (154e), les deux compères ont vite ressenti leur amateurisme de l’époque, par rapport à leurs concurrents. «Quand on a sorti le pain et le saucisson alors qu’eux prenaient des gels, on s’est dit que ça n’allait pas le faire», rigole Pierre-Alain Saudan.

«Le premier jour, j’ai cassé un ski dans la dernière section. Il restait 1000 m à descendre, sur une jambe. Forcément, on a fini beaux derniers, et hors délai. Le jury a heureusement accepté, compte tenu des circonstances, de nous laisser repartir le lendemain.» Problème numéro un, le Veveysan n’avait plus qu’un ski. «J’ai trouvé un copain là-bas qui a été d’accord de m’en pr�ter une paire.» Problème numéro deux, son coéquipier, marqué physiquement, voulait abandonner. «Impossible de le convaincre de repartir, il était cuit. Mais le soir, il a appelé sa copine. Elle l’a remotivé, il a bouclé en me disant “ok, on continue”.» La suite? «Chaque jour un peu mieux, pour terminer l’épreuve, fiers de nous.» Textes JR

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus