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Mike Aigroz,

Pour Mike Aigroz, il existe des endroits où, sans trop savoir pourquoi, on se sent bien. La Dent-de-Lys en est un et, souvent, il vient s’y ressourcer. RYZON

TRIATHLON CHÂTEL-ST-DENIS

Mike Aigroz compte l’un des palmarès les plus impressionnants du triathlon suisse.

A 43 ans, le citoyen de Fruence a encore soif de défis, preuve en est sa participation à la Diagonale des Fous, une course extrême sur l’île de la Réunion.

L’ancien professionnel se raconte et évoque la difficulté pour un athlète d’accepter une reconversion.

Officiellement, Mike Aigroz a pris sa retraite sportive en novembre 2016. Mais si le triathlète établi à Fruence n’est plus professionnel, il n’en reste pas moins un passionné de sport et, surtout, de défis.

La preuve: le 21 octobre dernier, il a terminé la Diagonale des Fous, un trail de 165 kilomètres et 9500 mètres de dénivelé positif sur l’île de La Réunion. Douzième en 26 h 51’, le Châtelois d’adoption a vécu une phase de crise comme il n’en avait «jamais» connu (lire ci-contre). A 43 ans, il s’est davantage appuyé sur son expérience et sur son mental que sur son entraînement – plus léger que d’ordinaire – pour terminer la course. Quelques semaines après son retour, l’athlète nous a reçus dans son appartement, à Fruence, pour évoquer sa nouvelle vie et revenir sur sa carrière de sportif d’élite.

Dans les «non-nageurs»

Mike Aigroz a grandi à Château-d’Œx, dans un contexte qui ne le prédestinait pas vraiment à la pratique du triathlon. La natation? «J’étais dans le groupe des non-nageurs à l’école», se remémore-t-il en souriant. «J’ai longtemps galéré avant de combler mes lacunes. J’ai commencé à m’entraîner une dizaine de fois par semaine pour améliorer ma nage, une charge de travail monstrueuse. Il m’a fallu presque dix ans pour devenir un nageur moyen de triathlon.» L’athlète était surtout reconnu pour ses prouesses en course à pied, considéré également comme un bon cycliste. En 2008, Mike Aigroz s’est lancé dans l’Ironman, le long format extrême du triathlon (3,8 km de natation, 180 km de vélo, puis 42,195 km de course à pied). «J’ai créé ma propre entreprise, avec des sponsors qui m’ont permis d’obtenir un statut de professionnel. Le budget restait “raclette”, mais je m’en sortais.» Un tournant s’est opéré en 2011, quand il s’est classé 6e à Hawaï, la référence mondiale de l’Ironman. «J’ai décroché plusieurs contrats importants. Je n’avais plus à craindre le paiement des factures.»

Se maintenir au top

Le plus dur n’est pas d’arriver au sommet, dit-on, mais de s’y maintenir. S’il a réalisé plusieurs saisons solides – avec notamment une première victoire sur un Ironman, en Malaisie en 2015, à 37 ans – Mike Aigroz n’a plus reçu le même soutien financier et n’est pas parvenu, en outre, à réitérer l’exploit d’Hawaï. En novembre 2016, il a décidé de tourner la page. «Je descendais de la Dent-de-Lys quand j’ai arrêté ma décision. Après vingt ans au plus haut niveau, je n’avais plus la motivation de repartir pour un tour. Surtout, j’avais envie de raccrocher à un moment où j’étais encore compétitif.»

Est survenu alors le moment le plus redouté peut-être par les sportifs professionnels: la retraite. Elle est intervenue à 38 ans pour Mike Aigroz. «Arrêter, c’était facile, un soulagement même, après vingt ans de pression continue au plus haut niveau.» La reconversion fut plus difficile. «J’ai dû apprendre un nouveau métier et accepter de vivre des journées moins palpitantes, enfermé dans un bureau.»

Il s’est engagé dans une agence d’événementiel culturel et sportif, à Lausanne. «Les premiers temps ont été vraiment difficiles. J’ai dû trouver de nouvelles motivations et apprendre à vivre sans les émotions du sport. Aujourd’hui, je pense avoir trouvé un bon équilibre.» A la fin du mois, le Veveysan quittera toutefois son poste de chef de projet chez Grand Chelem pour se mettre à son compte. «J’ai envie de devenir indépendant et de créer des événements sportifs dans la région, qui mettront en valeur notre patrimoine local. Je poursuivrai également mon mandat pour le triathlon de Lausanne.»

Pas accro au sport

Voilà cinq ans que Mike Aigroz a raccroché. S’il a tourné la page, il admet toujours ressentir certains manques. «Je ne suis pas un accro au sport, je peux m’en passer durant plusieurs mois. Mais je sais que jamais je ne retrouverai les émotions du haut niveau, ce mélange de sacrifices, d’heures d’entraînement et d’adrénaline le jour J.» Quand tout se passe bien et que tous les paramètres sont réunis, «on entre dans un état dans lequel on se sent invincible, un sentiment multiplié encore par l’endorphine produite. Je n’ai vécu ça qu’à cinq ou six reprises en vingt ans de carrière et j’en ai encore les frissons rien que d’en parler.»

Aujourd’hui, l’homme arpente les montagnes, skie et s’adonne au parapente. «J’ai toujours souhaité rester en forme. Je ne suis plus dans la performance, mais j’ai encore cette volonté d’aller vite. J’adore aussi pratiquer ces activités sans aucune pression ni de résultats ni de sponsors.»

Fort d’un palmarès qui impose le respect, Mike Aigroz ne se focalise pas sur son C.V., mais préfère raconter les anecdotes de sa vie d’athlète professionnel. «Avec tout ce qu’il s’est passé, je pourrais écrire un livre.» D’ailleurs, le projet avait failli voir le jour, avec l’aide d’une journaliste de 24 heures, mais l’engouement s’est estompé en cours de route. «J’ai peur que ça n’intéresse pas les gens», avoue le sportif.

Pourtant, le Châtelois sait titiller l’intérêt chez son interlocuteur. Il le fait en tant que consultant pour la RTS, expert en triathlon, et partage avec plaisir son passif de sportif d’élite.

Jonas Ruffieux


«Je suis venu, j’ai vu et j’ai survécu»

En regardant dans le rétroviseur, Mike Aigroz se dit fier de sa carrière. «Pas forcément de mon palmarès, mais plutôt du fait que je n’ai jamais triché, je ne me suis jamais dopé et j’ai toujours essayé de donner une bonne image de ma discipline.»

Fier, également, d’avoir développé des ressources mentales qui lui ont permis de vaincre la Diagonale des Fous, il y a un mois et demi sur l’île de La Réunion (165 km, 9500 m de dénivelé positif). «Je n’avais jamais couru plus de 12 heures en compétition. Ça m’intriguait de me lancer dans une épreuve de près de 30 heures d’effort.» Voir comment il parvenait à gérer la privation de sommeil. «Malgré une grosse crise survenue au 110e km, je n’ai jamais pensé à abandonner. Mon chemin de vie m’a aidé à être fort mentalement au bon moment. Je pense qu’à l’époque où j’étais plus fort physiquement et mieux entraîné, je n’aurais pas rallié l’arrivée, il m’aurait manqué ces ressources dans la tête.»

Malgré les vingt ans passés au plus haut niveau d’une discipline réputée pour la dureté de l’effort, le Châtelois dit ne «jamais s’être mis dans un état pareil». «C’était également la première fois que le but principal consistait “simplement” à rallier l’arrivée, sans trop regarder la montre.»

Mike Aigroz est désormais un athlète estampillé «Diagonale des Fous», une ligne qui compte au palmarès. «Cela faisait plusieurs années que je souhaitais y participer. Je n’ai pas été déçu, j’ai bien “ramassé”. Je garderai davantage en souvenir l’aventure que la performance sportive. Je suis venu, j’ai vu et j’ai survécu», sourit-il. JR


Aussi une image de «fainéant» au fort caractère

S’il a été l’un des triathlètes suisses les plus performants de l’histoire, Mike Aigroz a aussi véhiculé une image de «fainéant», au fort caractère. «J’ai souvent entendu des gens dire qu’avec plus d’entraînement j’aurais réalisé de meilleures performances. La vérité, c’est qu’avec plus de séances au programme, j’aurais arrêté par manque de plaisir.» Il affirme: «J’étais le gars qui pouvait ne pas faire de sport durant trois mois, l’hiver, profiter et manger des raclettes avec mes amis. Je n’ai aucun regret: sans me ressourcer, jamais je n’aurais été motivé à la reprise en avril. C’était mon mode de vie.»

Une manière de vivre qui n’enlevait rien à ses ambitions. «Je n’ai jamais prétendu au titre de champion du monde. Mais si je me fixais un objectif, je faisais tout pour le réaliser. Pour un “fainéant”, je crois que je m’en suis pas mal tiré.» Connu pour sa franchise, Mike Aigroz indique lui-même être «difficile à vivre». «Quand j’ai quelque chose en tête, j’ai tendance à mettre des œillères et me focaliser là-dessus, de manière un peu égoïste. Je pense qu’avoir ce “sale caractère” correspond à la marque de fabrique des athlètes de haut niveau. Il faut beaucoup d’abnégation et de volonté pour réussir dans le sport.»

Dans le monde professionnel, Mike Aigroz a transposé ses valeurs sportives. «Je ne lâche rien dans mes projets, les gens m’ont parfois pris pour un fou. Si dans le sport nous avons tous un tempérament plus ou moins identique, c’est bien différent dans la “vraie” vie.» JR

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