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Une zone marécageuse plusieurs fois millénaire


SÉRIE D’ÉTÉ LA ROGIVUE

Durant tout l’été, Le Messager vous emmène à la découverte du patrimoine paysager de la région, entre histoire et nature. Deuxième des six épisodes avec la Réserve naturelle des Mosses, à La Rogivue.

Dans un coin reculé du canton de Vaud, à l’extrémité d’un «bras» de territoire entouré du district de la Veveyse, se niche une tourbière... Et pas n’importe laquelle: celle de la Réserve naturelle des Mosses, à La Rogivue. Propriété de Pro Natura Vaud, qui a acquis cette zone protégée en 1973, elle regorge d’innombrables intérêts pour les amateurs de Dame Nature.

Car la variété des créatures vivantes qu’elle abrite est tout simplement bluffante, à commencer par sa faune: pas moins de 130 espèces d’oiseaux différentes – qui y nidifient ou y font escale lors de leurs migrations – sept batraciens, dont le triton lobé et le crapaud commun, protégés, trente-deux types de libellule ou encore trente-neuf sortes de papillons. Parmi ces derniers, deux espèces menacées du genre Maculinea, qui présentent la particularité de confier leurs larves aux fourmis et qui sont donc tributaires d’une symbiose avec les fourmilières environnantes.

Les sphaignes à l’œuvre

Ce premier aperçu de la richesse du biotope local n’aurait pas été possible sans les renseignements fournis par Kelly Delavy, responsable des réserves naturelles à Pro Natura Vaud depuis une année. Celle-ci indique que la tourbière des Mosses est une zone marécageuse «divisée en hautsmarais et en bas-marais». Du point de vue de la flore, la première catégorie présente quel-ques particularités intéressantes: «A La Rogivue, nous avons enregis tré une dizaines de sphaignes différentes. Les sphaignes sont des mousses qui constituent le principal composant de la tourbe. Elles constituent le véritable maître d’œuvre de la tourbière, en quelque sorte.»

Quant aux plantes rares qui prolifèrent dans un tel environnement, citons notamment la Drosera rotundifolia. «Il s’agit d’une plante carnivore qui colonise les sphaignes lorsque celles-ci sont suffisamment exposées au soleil, explique Kelly Delavy. Ses poils collants lui permettent d’attirer et de capturer les insectes.» Pris au piège, ceux-ci seront ensuite lentement digérés.

Des lointaines racines

La notion de temps, d’ailleurs, est primordiale pour comprendre le processus d’élaboration d’une tourbière. D’après la responsable de l’organisme vaudois, une telle zone est consécutive à l’accumulation de sédiments, survenue lors de la dernière glaciation, comprise entre 110 000 et 10 000 ans avant J.-C. «Ce dépôt presque imperméable, au fond d’une cuvette, crée un milieu inondé où les végétaux ne se décomposent que partielle-PATR
ment: l’eau s’y accumule et l’oxygène vient à manquer. Cette matière organique donne naissance, après plusieurs milliers d’années, à un marais.»

Elle précise que la tourbe se forme, en moyenne, à la vitesse de 0,2 millimètres par année. C’est donc un processus plusieurs fois millénaire qui a permis à la tourbière de La Rogivue d’atteindre, par endroits, une épaisseur approchant les neuf mètres! D’après les informations de Pro Natura Vaud, se basant sur les archives communales de Maracon, dont La Rogivue fait partie, son exploitation intensive a été abandonnée après la Seconde Guerre mondiale, mais s’est poursuivie, de la part de privés, jusque dans les années 1970.

Un féru de barrages
D’une surface de vingt-cinq hectares, la Réserve naturelle des Mosses est le quartier général d’un autre animal, connu pour ses dents acérées et sa queue plate: le castor. «Ce dernier joue un rôle crucial dans la régulation du niveau d’eau, l’élément primordial pour le maintien d’un marais.» Un «microclimat» humide qui offre des conditions idéales pour l’épanouissement d’une roselière. Le rôle joué par Pro Natura Vaud depuis plus de quarante ans à La Rogivue est relativement simple: l’association de défense de l’environnement œuvre à restaurer les valeurs biologiques naturelles du site. Autrement dit, elle cherche à permettre aux zones de transition de redevenir des hautmarais. «Ce qui nous occupe en priorité est donc de maintenir un certain niveau d’eau. Pour ce faire, le collecteur principal a été 2/6 A GER réparé et rendu étanche. L’étang du sud-ouest a été curé et des fossés ont été bouchés, tout cela dans le but de favoriser un milieu naturel humide.»
Kelly Delavy ajoute qu’un crapauduc a été installé sous la route de Châtel, reliant La Rogivue au Jordil. «Il permet la migration des batraciens lors de leur période de reproduction», glisse-t-elle tout en annonçant que la création d’un autre crapauduc est projetée. Elle indique en outre que son association s’évertue à l’entretien constant de la Réserve naturelle des Mosses, notamment au travers d’opérations de fauche, mais qu’elle effectue également le suivi de tous les types d’espèces qui y sont rencontrées. Enfin, elle annonce quelques prochains rendez-vous, pour ceux qui voudraient s’investir à leur tour: «Nous organisons des journées d’entretien bénévoles les 12 septembre, 17 octobre et 28 novembre prochains.» A vos agendas!

Christian Marmy


La Suisse tient à ses marais

La Réserve naturelle des Mosses à La Rogivue, qui comprend une tourbière, fait partie des zones classées en «marais» (lire ci-contre). Or, celles-ci sont choyées par la Confédération, qui est le seul Etat au monde, d’après la collaboratrice de Pro Natura Vaud Kelly Delavy, à «garantir une protection totale à ses marais». La Suisse a en effet inventorié toutes ces zones à la suite de l’initiative de Rothenturm, adoptée le 6 décembre 1987. Du point de vue de l’inventaire fédéral, la tourbière de La Rogivue ne se démarque donc pas de ses homologues. En revanche, elle comporte une singularité qui mérite d’être relevée. «C’est la seule tourbière du Pays de Vaud à ne pas avoir souffert des canicules de ces dernières années», révèle Kelly Delavy. CM

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